Edward Hopper, le peintre de la solitude et de l’attente éternelle

Publié le : 30 septembre 20217 mins de lecture

Dans les tableaux d’Edward Hopper, le temps ne passe pas. Il semble arrêté, condensé dans une attente éternelle où les visages féminins attendent patiemment, enveloppés d’un air énigmatique. Des personnages immobiles et dans l’expectative dans des chambres d’hôtel, des bars, des gares, etc. La solitude et le mystère emprisonnent tous ses tableaux grâce à ces scènes, à ces couleurs et à cette atmosphère inquiétante.

Rencontre de l’art et de la psychologie

L’art et la psychologie ont toujours fait bon ménage, et les œuvres de Hopper ne sont pas étrangères à cette relation. Nous pouvons y voir plus que l’exemple le plus frappant du style moderniste du portrait américain.

Dans ses coups de pinceau se cachent des énigmes et des histoires cachées, celles-là même qui ont conduit Alfred Hitchcock à mettre en scène plusieurs de ses tableaux dans ses films, comme la célèbre maison de Psychose, copiée en détail du tableau de Hopper intitulé House by the Railroad.

Si nous observons certaines des peintures les plus célèbres d’Edward Hopper, nous remarquerons, par exemple, que les tables sont presque toujours vides, que les protagonistes se trouvent dans un café ou un restaurant : la nourriture n’apparaît jamais.

L’historienne de l’art Judith A. Barter explique que le peintre et sa femme, également artiste, se nourrissaient toujours de boîtes de conserve et que, sans être pauvres, ils avaient choisi un mode de vie aussi austère qu’étouffant. La même qui est perçue dans les peintures. Hopper a également visualisé dans ses toiles l’évolution du rôle des femmes dans la société américaine au début du XXe siècle. Ces figures féminines apparaissent déjà dans leurs bureaux, prenant un verre en fin de journée dans une cafétéria, se rendant au travail en train…

Cependant, dans toutes ces peintures, la solitude elle-même est imprégnée sous forme de patine. Une solitude séduisante, mais palpable et insoluble à la fin de la journée. Le reflet, sans doute, d’une société qui tentait d’avancer avec difficulté.

Edward Hopper et la psychologie derrière ses peintures

Hopper était un artiste américain de la période moderniste, spécialisé dans ce que l’on appelle le réalisme américain. Ses travaux coïncident avec l’essor de la psychanalyse en Europe.

Ses biographes, comme l’historienne Gail Levin, expliquent dans son ouvrage Edward Hopper : An Intimate Biography, que lui-même savait que son esprit était quelque peu déformé, mais que c’est ce déséquilibre intérieur qui était l’impulsion qui guidait sa main lorsqu’il peignait.

Il aimait transmettre dans ses œuvres l’essence de la solitude contenue dans les intérieurs (bars, gares, trains et appartements). Un exemple exceptionnel est Morning Sun, où le spectateur acquiert, presque involontairement, la perspective d’un voyeur, assistant à la femme assise dans une chemise de nuit rose sur le lit de sa chambre, regardant le lever du soleil par sa fenêtre.

Edward Hopper, ainsi que Raymond Chandler, ont décrit à la perfection l’essence des années 30 et 40 aux États-Unis. L’urbanisation, une société qui tente de se réveiller après une récession économique, la différence de classe et cette solitude marquée qui semble toujours aller de pair avec le progrès. Toutes ces dimensions étaient souvent imprimées sur les visages et les figures féminines. Des femmes qui semblaient plongées dans l’antichambre d’une attente éternelle. On pense peut-être à des illusions frustrées, à des rêves qui ne se réalisent pas, à des gens qui sont restés derrière…

Le mystère des femmes dans les tableaux d’Edward Hopper

Il y a un détail que tout bon fan de Hopper aura vu un jour ou l’autre : qui sont les femmes qui apparaissent dans ses tableaux ? La réponse est aussi intéressante que révélatrice. Chacun de ces visages était le même : celui de sa propre femme, la peintre Joséphine Nivison.

Jo Nivison était plus célèbre et renommé qu’Edward Hopper lui-même. Elle avait été une femme à succès, un peintre admiré qui avait exposé aux côtés d’autres grandes figures comme Modigliani et Pablo Picasso. Cependant, lorsqu’elle a épousé son partenaire professionnel, elle ne s’est concentrée que sur lui. Ensemble, ils ont établi une relation qui était dépendante et toxique, mais incroyablement productive pour Hopper.

Ils vivaient au dernier étage du Washington Square à New York. Ils n’avaient pas de luxe et ils n’en voulaient pas non plus. La seule chose qui les intéressait était cette chambre avec une vue incroyable et exceptionnellement lumineuse. Dès qu’ils quittent ces quatre murs, il peint, elle fait des suggestions, tient les comptes et organise les contacts avec les agents et les galeries d’art.

Comme il apparaît dans les journaux intimes de Joe Nivison, il y a eu des épisodes de mauvais traitements. En outre, Hopper n’a cessé de la mépriser en tant qu’artiste pour qu’elle ne poursuive pas sa carrière. Il ne la voulait que pour lui et elle ne le voulait aussi que pour elle. Tous deux ont créé une atmosphère étouffante et étrange, que l’on retrouve également dans plusieurs toiles et dessins.

Le peintre des seuils

Le philosophe Alain de Botton a dit un jour qu’Edward Hopper était le peintre des seuils. Il s’est spécialisé sans le savoir dans cet art où les personnages sont contenus dans des scénarios de transit : une gare, un bar, une station-service, une chambre d’hôtel, un bureau… Ce sont des scénarios urbains où les gens se diluent dans l’attente, dans ce regard introspectif qui se languit peut-être de quelque chose qui ne reviendra pas.

Hopper voulait laisser dans son art l’essence introspective d’une époque. Lui-même était un amoureux de la solitude, de cette retraite volontaire construite avec sa femme, où elle servait de pont avec le monde extérieur. C’est Joe Nivinson qui franchissait les seuils pour parler à la presse, c’est elle qui organisait les ventes ou les expositions et c’est elle qui lui a servi de muse tout au long de sa vie.

La richesse narrative et ambiguë des peintures de Hopper est déjà intemporelle. Il attire toujours, il déstabilise toujours. L’architecture, les gratte-ciels, les chambres d’hôtel, ces femmes et leurs vêtements, ces hommes qui tournent le dos et même les tables vides, configurent une ambiance très spécifique qui perdure et attire toujours : celle de la solitude et de l’attente éternelle.

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